1948 - 1965
Souvenirs d'instituteurs d'après-guerre
Jeanne et Maurice Neycensas
En Octobre 1948, nous
nous retrouvions donc dans un nouveau poste, cette fois dans un bourg plus
important, sur les bords de l'Isle et traversé par la RN 89, Montanceix.
| Montanceix |
Il y avait trois classes
où j'avais la responsabilité des cours moyen et supérieur. Nous étions mieux
logés qu’à Segonzac, mais, comme par hasard, il n'y avait pas d'eau du tout.
Nous aurions pu nous ravitailler à une source fort éloignée mais, pour la commodité,
nous avons mis nos voisins à contribution et utilisé leur pompe.
| Classe de Madame Neycensas |
| Classe de Monsieur Neycensas |
Dans ces conditions,
Jeannette n'avait pas d'autre solution que de prendre la brouette et son
battoir pour aller laver le linge à la rivière. Vous voyez, la vie rustique
continuait, mais nous étions heureux de renouer avec l'animation d'une petite
ville. Fini le grand silence des soirées campagnardes. Le contraste était même
un peu trop grand, car la circulation de la route nationale n'avait rien de
commun avec celle, inexistante, de notre hameau isolé.
Là, l'adaptation fut rapide car, à l'avance, j'étais considéré comme un enfant du pays. Des amitiés se nouèrent, fortes et durables, notamment avec les voisins d'en face, les Feydy, qui avaient leurs deux enfants à l'école. Le père travaillait à l'usine à chaux où les salaires étaient plus que modestes. Pour arrondir les fins de mois, il cultivait un grand jardin qui fournissait tous les légumes et un lopin de vignes qui donnait un vin clairet et nerveux, à cause du noah, vous savez, ce cépage interdit depuis. Pour se donner du coeur à l'ouvrage, il sifflait les romances d'alors, notamment « Mimosette, jolie brunette » et tous les environs s'en trouvaient égayés.
| Maison Feydy vue de l'école de Montanceix |
| Maison Feydy |
J'avais son fils dans ma classe. Content de lui, j'insistais auprès des parents pour qu'il fréquente le cours complémentaire de Saint-Astier, tout proche. La mère, brave femme s'il en était, m'avoua que le curé, en sous-main, lui avait proposé de l'envoyer au séminaire. Les gens d'église avaient encore une certaine influence sur les familles, mais dans l'esprit de la population, qui disait séminaire disait prêtre, et ni l'élève ni ses parents ne pouvaient se résoudre à une telle éventualité. Donc ce fut le cours complémentaire et, à défaut d'entrer dans les ordres, mon protégé devint instituteur public.
Pour ne pas être en reste, sa sœur suivit
exactement les traces de son aîné. Je n'ai pas besoin de vous dire la joie de
la famille. Le père n'en sifflait que de plus belle, ajustant des trilles qui
me rappelaient l'heureuse et vive alouette.
A mon grand regret, je n'ai pu convaincre les parents de ma meilleure élève. Cultivateurs, avec cinq enfants, malgré les prières de leur fille, malgré mon insistance qu'ils comprenaient au point que la mère en pleurait, ils n'ont jamais cédé. Echec pour moi, sans doute, mais surtout déception à vie pour l'élève dont j'aurais voulu être la providence.
Comme toujours, les journées étaient bien remplies et se prolongeaient tard le soir. Conduire des classes à deux ou trois niveaux n'était pas une sinécure et il ne suffisait pas « d'en promettre », il fallait « en donner » avec cœur, avec constance. Souvent, à plus de vingt-trois heures, la cuisine qui était aussi mon bureau restait éclairée, la table couverte de cahiers. Jeannette, même fatiguée par le travail de classe, doublé de celui de ménagère, s'efforçait de me tenir compagnie.
Les fins d'année scolaire étaient harassantes et un peu folles. En plus de la classe, nous organisions une fête à laquelle participait tous les élèves.
| 1950 - Fête des écoles Montanceix |
| 1953 - Fête des écoles Montanceix |
1963 - Mardi-Gras - Leturcq F. |
Ainsi se créait autour de l'école, tout un réseau de compréhension, d'amitié et de concours bénévoles. Tous les ans, fidèle, la foule des grands jours était là, manifestant sa joie par des applaudissements qui nous allaient droit au cœur.
Comme je n'avais pas encore assez d'occupations, des camarades, des amis ont insisté pour que je devienne secrétaire et accompagnateur de la section football. Même les dimanches ne m'appartenaient plus.
Nous sommes restés dix-sept ans dans le même bourg, sur les bords de l'Isle. Nous avons eu la joie de voir construire une école neuve sur le terrain jouxtant l'ancienne cour de récréation. Les travaux allaient bon train ; lorsque les maçons eurent terminé les murs et les couvreurs la toiture, un ouvrier, comme c'était la coutume, planta le bouquet au faîte du pignon.
Un dimanche d'Avril, les planchers
n'étant pas encore posés, Michel notre premier fils s'amusait à sauter de
solive en solive lorsqu'il aperçut sur le sol des silhouettes insolites qui
sortaient du sol. « Papa, papa, viens voir ! ». De l'index il
désigna l'objet de sa surprise. Stupéfait, je comptais cinq morilles, mais des
morilles extraordinaires. Blondes et pointues, pointant vers la lumière, elles
avaient des dimensions qui tenaient du gigantisme. La première née, en forme de
peuplier pyramidal, avoisinait les vingt-cinq centimètres de haut. N'en croyant
pas mes yeux, je m'infiltrai entre les poutres et cueillis ces véritables
phénomènes qui provoquèrent l'étonnement et l'admiration de tous. Sans doute
étaient ce là choses anodines, mais avouez que ramasser des morilles géantes
dans une école, était un fait peu banal qui valait la peine d'être signalé.
Les menuisiers s'attaquèrent à la pose du plancher. Ils ajustaient les lames de châtaignier, prises dans un lot de première qualité et, à mesure que leur travail avançait, on avait plaisir à regarder s'étaler le beau bois doré. Pour que l'effet soit encore plus séduisant, nous avons eu l'idée de l'encaustiquer nous-mêmes. Je me servais de notre cireuse qui comportait un réservoir à cire liquide.
Après un peu de repos,
nous avons fini d'encaustiquer les parquets à la main. La cireuse, nettoyée, à
quand même servi à les faire briller. La lumière entrait à flots par de grandes
baies, les sols luisaient au soleil, tout était clair et accueillant. Les
élèves quittaient leurs chaussures dans le couloir carrelé et prenaient leurs
chaussons dans des petits sacs suspendus au mur. Ainsi, tout respirait la
propreté et les enfants, paysans ou citadins, se sentaient à l'aise dans un tel
cadre qu'ils respectaient volontiers.
Notre petite quatre chevaux, avec sa gueule de brave tortue, nous rendait de multiples services. Elle nous servait au ravitaillement de la cantine qu'il fallait aussi surveiller et, surtout, favorisait nos instants d'évasion. On se permettait enfin quelques vacances à la mer. C'étaient de véritables expéditions et si vous aviez vu notre petit véhicule surmonté du grand landau brinquebalant, vous auriez souri. C'était du plus bel effet.
En 1965, au moment d'affronter la capitale de la Dordogne où nous fûmes nommés tous les deux, nous avons tout naturellement jeté un regard nostalgique sur nos vingt-cinq ans passés soit dans des villages où nous avons fini d'apprendre l'humilité et la modestie, soit dans de charmantes petites cités que nous aidions à revivre en s'intéressant aux jeunes.
Cela nous donnait l'impression d'effeuiller, non pas la marguerite, mais notre propre jeunesse dévorée d'amour et d'enthousiasme, au milieu d'un monde parfois cruel.